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dimanche 8 juillet 2012

Souvenir de Violet Lam Man-Yee 林敏怡, compositrice des années 80 et 90

Ces jours-ci, en (re)découvrant les films de la Nouvelle vague hongkongaise à Paris Cinéma, j’ai également redécouvert le nom de Violet Lam Man-Yee, célèbre compositrice du cinéma de Hong Kong des années 1980 et 1990.

Violet Lam Man-Yee


 Les tubes signés Violet Lam Man-Yee


Violet Lam Man-Yee est née en 1950. Enfant, elle a appris le piano avec sa mère. Diplômée d’études de psychologie, elle part étudier la musique en Italie puis en Allemagne dans les années 1970. A Rome, elle découvre… le cinéma, surtout européen. Elle a dit qu’à cette époque, elle regardait deux films par jour. Le cinéma d’auteur l’éblouissait : c’était si différent de ce qu’elle connaissait jusque là. Comme elle est musicienne, elle prête plus attention à la musique des films. Elle découvre cet art et ses grands maîtres. Et aspire à son tour d’être compositrice pour le cinéma. A son retour à Hong Kong vers la fin de la même décennie, elle commence par des créations personnelles mais écrit aussi pour la scène. Elle gagne même quelques prix. C’est par l’intermédiaire d’un ami qu’elle rencontre Ann Hui. Celle-ci lui propose de l’accompagner pour son premier film au cinéma, The Secret (1979).  Très vite, Violet Lam va devenir le compagnon de route des cinéastes de la Nouvelle vague alors naissante.

The Secret

La musique de Violet Lam au cinéma est marquée par une présence discrète mais mélodique. Elle accompagne le film sans l’envahir. Elle apparaît souvent dans la pénombre du récit, pour révéler en pointillé les états d’âme. Cette musique si subtile imprègne bon nombre d’œuvres emblématiques de la Nouvelle vague, comme Nomad de Patrick Tam Kar Ming, Story Of Woo Viet de Ann Hui ou Ah Ying de Allen Fong. Sans elle, je me demande si ces films n’auraient pas perdu une part de leur beauté.


Chanson de Nomad


Sur The Secret, formellement très réussi, on sent encore un certain tâtonnement de la part de Violet Lam. Sa musique se contente d’accompagner quelques scènes sans tomber dans l’excès. On voit déjà dans ce premier film la voie choisie par Ann Hui : faire confiance à l’imagination du spectateur, plutôt que de le prendre par la main et tout lui expliquer avec des effets musicaux peu subtils et répétitifs. Elle a trouvé en Violet Lam une vraie complice dans sa démarche. Violet Lam aime aussi marquer les séquences de déambulations nocturnes ; on retrouvera cette petite touche personnelle dans d’autres films de l’époque dont elle a composé la musique. 

Story Of Woo Viet

Dès son deuxième film, Violet Lam sut dévoiler l’étendue de son talent. Sa musique joue un rôle essentiel mais discret dans l’aspect mélancolique de The Story of Woo Viet (1981). La désolation est dans le récit, mais je pense que sans la belle musique de Lam, l’impact sur le spectateur aurait été atténué. Cette musique réussit à révéler avec délicatesse l’âme des personnages. Elle souligne remarquablement bien ce désespoir qui les anime - ils portent tous le poids du passé et leur avenir est si incertain. Violet Lam aimait placer ses musiques dans les creux du récit, c’est dans ses moments-là que les cœurs se montrent. Elle aide certains passages d’apparence anodine à devenir l’âme du film. Je pense en particulier à celui où Chow Yun Fat/Woo Viet raconte à sa correspondante en voix off la déchéance de son ami magnifiquement incarné de Loh Lieh. Cette simple musique, si poignante, ne vous quitte plus bien après la fin du film – mais vous aurez du mal à la fredonner avec précision. Teddy Robin, qui était le producteur du film, avait particulièrement apprécié une séquence musicale. Il a alors demandé à Violet Lam de la transformer en chanson. Violet profite de l’occasion pour pousser son jeune frère Andrew Lam Man-Chung 林敏驄 à devenir parolier. Cela va donner « That’s Love /  這是愛 », premier tube de Violet Lam dans le domaine de la canto-pop. Cette très belle chanson n’est pas dans le film, mais sera l’un des plus beaux succès de Teddy Robin Kwan chanteur.

Love In A Fallen City


Grâce à Love In A Fallen City (1984), sa troisième et dernière collaboration avec Ann Hui, Violet Lam reçut l’Award de la meilleure musique en 1985. L’utilisation de la musique dans ce film est d’une grande subtilité. Ann Hui et Violet Lam n’ont pas cédé à la facilité du genre, qui consiste à napper tout le récit d’une musique sirupeuse. Ici, elle se fait rare, discrète, jamais elle n’est redondante. Elle apparaît à certains moments, pour souligner seulement après coup les sentiments des deux personnages principaux. Elle montre si bien leurs hésitations et cette envie d’abandon. Au passage, rappelons que le couple formé par Chow Yun Fat et Cora Miao dans ce film est l’un des plus beaux du cinéma hongkongais de cette époque. Sans vous raconter la fin du film, sachez que la musique s’y révèle d’une incroyable beauté et suscite un étrange sentiment nostalgique, jusqu’à cet étonnant dernier plan et l’apparition soudaine de la chanson du générique. C’est simplement sublime !




La musique de Violet Lam a marqué d’autres grands films de cette époque comme Nomad (1982) de Patrick Tam. La production de ce film fut chaotique, mais Violet Lam sut habiller le résultat final d’une musique évoquant à la fois la tristesse et la beauté. C’est elle qui met un voile à cet éclatant soleil de la jeunesse, c’est elle qui accompagne les moments de joie tout en y distillant un parfum de spleen. Le début du passage des « vacances » sur l’île,  sans dialogues, reste dans notre mémoire : les images sont belles, et la petite musique de Violet Lam y est gracieuse – même si cette partie du film aurait été reniée par Patrick Tam. « Vagabondages / 流浪 », cette chanson d’une lancinante tristesse écrite par Violet Lam pour Leslie Cheung et placée au début du film va imprégner tout le récit. Wong Kar Wai se souviendra de cette façon de croiser l’énergie de la jeunesse et la mélancolie des âmes.

Dans Ah Ying d’Allen Fong, la musique de Violet Lam colorie le morne quotidien de l’héroine. C’est elle qui lui permet des échappées vers la poésie, la fantaisie. C’est aussi elle qui souligne discrètement la relation entre Ah Ying et son professeur, faite de confidences et de sentiments naissants. Lam a su éviter une musique trop sophistiquée, qui aurait contredit l’apparente simplicité du dispositif d’Allen Fong. A la fin, comme l’aspiration d’Ah Ying, la musique s’envole… C’est en découvrant ce film qu’Edward Yang à demandé à Violet Lam d’écrire la musique de son premier long-métrage, That Day On The Beach (1983). La collaboration fut heureuse, Yang avait laissé une liberté totale à la compositrice. Mais à l’arrivée, il ne reste guère plus que quelques minutes de musique : ils ont compris que le film n’avait pas vraiment besoin de musique pour exister ; Lam estimait même qu’il n'en avait pas besoin du tout. 

Ah Ying de Allen Fong

Le succès aidant, Violet Lam va recevoir de plus en plus de propositions pour écrire des B.O.F. De son propre aveu, certains réalisateurs et producteurs ne comprenaient rien à la musique de films : pour eux, elle ne devait servir qu’à couvrir le film, et plus il y en avait, mieux c’était. C’est hélas une pratique courante dans le cinéma de Hong Kong, qui touche même les plus grands films ! Les musiciens comme Violet Lam, James Wong Chim ou Michael Lai Siu Tin étaient victimes de leur succès. Ils devaient répondre aux exigences de leurs commanditaires. Très souvent, ils tombaient sur des gens qui n’avaient aucune oreille ni culture musicales. Violet Lam dit qu’elle avait souvent l’impression de « jouer de la guitare devant une vache ». Elle se souvient des moments heureux en travaillant avec Ann Hui (les deux femmes disséquaient chaque séquence devant la table de montage, pour discuter de la nécessité de placer de la musique ou non) ou Leong Po Chih (Lam regrette que sa musique sur Hong Kong 1941, originale et d’apparence anachronique, n’ait pas été plus appréciée).

Heart Of Dragon

Comme le veut la tradition dans le cinéma hongkongais, très souvent le musicien du film est aussi chargé de composer une chanson pour le générique. Lam Man Yee ne dérogeait pas à la règle. C’est ainsi qu’elle était connue comme une grande faiseuse de tubes pour stars de la canto-pop passées par le cinéma, comme Leslie Cheung, Alan Tam ou Jacky Cheung. Ses chansons sont très souvent d’une tonalité triste, avec des notes de piano. Dans les années 1980 où le milieu musical hongkongais adaptait à la pelle des tubes de la J-pop, les ballades et complaintes de Violet Lam s’imposaient par leur originalité. Elle a obtenu l’Award de la meilleure chanson de film pour Heart Of Dragon de Sammo Hung Kam Bo (1985) – interprétée par Julie Su.

Chanson de Heart Of Dragon

Entre les années 1980 et 2000, Violet Lam a composé la musique de plus de 50 films, sans parler des 150 chansons pour les stars de Hong Kong ou d’ailleurs. Elle a sans doute perdu le plaisir de créer, à force d’accepter des commandes. Peu à peu, elle s’est éloignée du cinéma et de la canto-pop pour se consacrer à des travaux plus personnels. A Hong Kong, on la connaît aussi comme une compositrice pour ballets et théâtre. Elle crée aussi de la musique d’avant-garde, sans oublier le classique et le jazz. Au début des années 2000, Violet Lam change de nom et d’orientation professionnelle. Elle devient alors Lam Sin Yee 林倩而 et décroche le titre de docteur en médecine naturelle. Aujourd’hui, elle est redevenue Lam Man Yee et continue à composer des œuvres musicales plus personnelles. 

Love In A Fallen City

PS: La plupart de des films de la nouvelle vague cités ici sont projetés au Festival Paris Cinéma

Ecrit par Panda VT L.

2 commentaires:

  1. Très intéressant tout ça. Sympa de mettre en lumière une artiste dont on ne parle pas en général. Il est rare qu'on s'intéresse aux compositeurs par ailleurs. Un bien joli article qui rend hommage à une artiste de renom !

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  2. C'est effectivement intéressant, et ce qui est bien aussi c'est de découvrir ce point commun entre tous ces films, au-delà de la nouvelle vague.

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